L'édito
La fabrique des monstres
Le monstre c’est l’autre ; ce que la nature n’aurait pas dû produire, l’exception de l’espèce, le bizarre
le « freaky ». Entre l’Antiquité, où les géographes peuplaient l’Afrique de monstres, et le calvaire de
la Vénus Hottentote au 19 ème siècle, le récit de l’Afrique n’a cessé d’être une fabrique de la
monstruosité. Aussi, en 2022, Africolor est résolument « monstrueux », rappelant à la scène des
monstres sacrés tels le néo-ghanéen Stevie Wonder revisité par Fabrice Martinez, Moriba Koïta joué
par son fils ou la résistante kabyle Lalla Fadhma N’Soumer, interprétée par Evelyne El Garby Klaï. Elle
clôturera les Mercredis des indépendances, feuilleton autour des pères fondateurs présentés à la
Marbrerie avec la complicité de Vladimir Cagnolari, qui retrouve aussi Binda Ngazolo pour une
séance de Photos de famille coloniales. Du côté des monstres customisés, on ne pouvait oublier la
mégapôlistique Kinshasa avec la première francilienne des Kin’Gongolo Kiniata avant Jupiter et
Okwess. Et c’est une Fatoumata Diawara taille patron(ne) qui invite les Go de Bamako, au milieu
d’une édition aux plateaux « Grand Format » monstrueux : Fanmkika, Évry Femmes d’Espoir, Big in
Jazz Collective, Peaux Bleues. Et, puisque les monstres se cachent aussi dans les plis de notre
littérature, Ann O’Aro et Fanny Ménégoz font renaître l’inquiétant sourire de la Wouivre.
Délibérément hors cadre, cet Africolor 2022 est fait de chimères musicales et de gorgones sonores,
réveillant la part du monstre vibrionnant qui sommeille en chacun.e de nous.
Sébastien Lagrave